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OMI

Outils Mathématiques et Informatiques

Le champ OMI (Outils Mathématiques et Informatiques) assure les enseignements du numérique dans les écoles d'architecture françaises. Présentation des enjeux et des contenus d'un champ en pleine évolution.

Euclide tenant un compas tel qu'imaginé par Raphael dans sa fresque «L'école d'Athènes»

La place du numérique dans les écoles d'architecture

L'enseignement de l'architecture est aujourd'hui structuré dans les Écoles Nationales Supérieures d'Architecture (ENSA) selon une organisation qui définit des champs disciplinaires bien spécifiques. En premier lieu, il y a d'abord le grand « partage des eaux » entre, d'un côté, l'enseignement du projet d'architecture proprement dit, c'est le rôle attribué au champ « Théories et Pratiques de la Conception Architecturale et Urbaine » (TPCAU), un champ qui occupe une place centrale dans la pédagogie des écoles — en association avec le champ « Ville et Territoires » (VT) — et, de l'autre, l'ensemble des disciplines « annexes » qui entrent dans la composition du savoir-faire architectural, dans lequel nous trouvons les « Sciences et Techniques pour l'Architecture » (STA), les « Arts et Techniques de la Représentation » (ATR), les « Sciences de l'Homme et de la Société pour l'Architecture » (SHSA) et le champ « Histoire et Cultures Architecturales » (HCA). Ces différentes disciplines sont chacune divisées en deux sous-disciplines plus spécifiques. Le champ STA est ainsi décomposé en une discipline centrée sur les sciences et les techniques de l'ingénieur, il s'agit du champ « Construction, Ingénierie, Maîtrise des Ambiances » (CIMA) et d'une discipline concernée plus spécifiquement par la question des mathématiques et du numérique, le champ « Outils Mathématiques et Informatiques » (OMI).

Une question de vocabulaire

Comme je le faisais déjà remarquer dans ma feuille de route pour la transition numérique dans les ENSA, le terme « informatique » ne me semble plus totalement en phase avec la « révolution de l'information » dans laquelle nous sommes à présent pleinement entrés. Le terme me semble un peu daté, car il est teinté des références qui furent celles de l'époque ayant vu naître la discipline, au sortir de la Seconde Guerre Mondiale. Je lui préfère aujourd'hui le terme de « numérique » qui me paraît un peu mieux correspondre au vocabulaire de l'époque et présente l'avantage de parler des « nombres », ce qui fait directement référence à la « matière » même des mathématiques. Le terme « digital » est, quant à lui, un terme qui nous vient directement du monde anglo-saxon sur lequel je ne m'étendrai pas ici, mais qui mériterait une discussion plus approfondie sur le sens particulier qu'il véhicule.

Les enjeux de la discipline

Le champ OMI est historiquement, et sauf erreur, le dernier venu dans la ramification des disciplines enseignées en école d'architecture. Et pour cause, la « science numérique » telle que nous la connaissons aujourd'hui n'a pas encore tout à fait atteint son premier centenaire. Évidemment, cela mesure l'écart qui la sépare des institutions déjà établies, des traditions scientifiques et philosophiques éprouvées, sinon de l'origine même de l'architecture. Cette relative jeunesse de la discipline offre l'avantage d'en faire un champ ouvert à tous les possibles — et nous savons qu'elle compte parmi l'un des enjeux majeurs de notre époque — mais dans le même temps, cela rend plus délicate son intégration parmi les champs déjà existants. Et cela est problématique, car la connaissance numérique est globalement une culture méconnue, autant chez les professionnels que chez les étudiants, et ce malgré son caractère ubiquitaire dans notre société, ce qui est pour le moins paradoxal.

Les origines

Bien que la date de naissance exacte de la science informatique soit assez facilement identifiable à travers les travaux de ses « inventeurs » — une origine largement marquée par la Seconde Guerre Mondiale — il est plus délicat de séparer son histoire du reste de l'histoire scientifique et principalement de l'histoire mathématique. En effet, l'histoire de l'informatique montre que ses problématiques sont directement issues et en continuité avec les travaux mathématiques qui lui sont antérieurs. Nous pouvons dire que cette continuité a même tendance à se renforcer avec le temps, quand nous voyons comment aujourd'hui les mathématiques contemporaines sont de plus en plus concernées par la question informatique.

Dans le même esprit, nous pourrions tenter d'ancrer historiquement le contenu du champ OMI en constatant qu'il concerne en premier lieu les outils informatiques de représentation de l'architecture. Si l'on omet les origines militaires d'où sont issues les premières technologies permettant de concevoir numériquement des pièces d'ingénierie, il est dès lors possible de prendre comme date de référence la « première vague » des logiciels de « Conception Assistée par Ordinateur » (CAO) dont Autocad fut l'emblème. Ce logiciel étant né au début des années 1980, nous pouvons donc constater que le champ OMI à proprement parler n'existait pas il y a à peine 40 ans, ce qui, nous pouvons en convenir, est à mettre en rapport avec l'histoire millénaire de l'architecture.

Malgré tout, il est à remarquer que le numérique a pris un rôle de plus en plus important dans nos vies, et que l'informatisation de la pratique architecturale est un enjeu actuel important. Nous pouvons dire que symboliquement, le passage à l'an 2000 aura marqué l'avènement d'une révolution dont nous sommes les témoins directs, celle de l'Internet. Même s'il est encore tôt pour sceller définitivement la portée historique de cet événement, l'idée que le numérique, et à travers lui, le réseau des réseaux, représente un changement de civilisation, ou à tout le moins se présente comme une troisième révolution industrielle, cette idée fait aujourd'hui consensus dans le débat public. Il était bon de rappeler ce simple fait si l'on on veut bien prendre la mesure de l'importance de cette jeune discipline.

Les contenus

On le voit donc, le champ OMI est une discipline neuve et un pivot important dans la métamorphose de nos sociétés : cela souligne l'importance d'enseigner le numérique dans les ENSA. Nous pouvons comprendre également que si l'on veut saisir le sens et la place de cette technologie dans l'évolution de nos sociétés, il est important d'en connaître les origines afin, peut-être, de pouvoir mieux anticiper le futur numérique de la profession d'architecte. Or, il faut bien le reconnaître, même s'il existe déjà des initiatives qui vont dans ce sens — et c'est évidemment l'enjeu principal de cette plateforme — le champ OMI reste malgré tout trop souvent cantonné au simple rôle de « cours d'informatique ». La portée historique et culturelle du numérique reste encore sous-évaluée par le reste de la communauté enseignante, même si les choses évoluent, surtout depuis que le principe de la « modélisation des données du bâtiment » (BIM) a pris l'ampleur que l'on sait.

Nous pouvons dès lors, à l'aune des constats qui viennent d'être posés, comprendre que l'apprentissage des logiciels représente évidemment un aspect tout à fait important, mais pour peu qu'on prenne conscience de la portée du changement de paradigme porté par le BIM, nous voyons que réduire l'apprentissage du numérique aux seuls logiciels serait une erreur. Cela est d'autant plus vrai si nous prenons conscience des avancées récentes concernant la conception distribuée et le rôle que vont jouer les plateformes de conception. Même si l'utilisateur de base n'en a pas nécessairement conscience, le champ est aujourd'hui en pleine ébullition, et nous devons nous attendre à de nouvelles évolutions qui pourraient encore changer radicalement, à l'avenir, nos méthodes de travail.

La culture numérique

Prenant appui sur ces constats, il s'agit maintenant d'en tirer toutes les conséquences en matière de pédagogie et de proposer une distinction claire entre, d'une part, l'apprentissage des logiciels, et d'autre part, les cultures numériques au sens large. Le champ OMI doit être sorti de son carcan « utilitariste ». Un simple exemple pour prendre conscience de cette réalité : il existe aujourd'hui bel et bien une véritable « philosophie du numérique » qui en toute logique devrait pouvoir trouver sa place dans une pensée globale de l'architecture, au même titre que la philosophie qui, en tant que discipline, fait déjà partie intégrante du cursus. C'est dans cet esprit que j'ai personnellement initié le cours optionnel « Éléments d'architecture numérique », enseigné à l'ENSA Val-de-Seine entre 2015 et 2018. D'un autre côté, et concernant l'apprentissage des logiciels, nous devons, là aussi, prendre la mesure des véritables enjeux. Car outre la « révolution des plateformes » qui s'annonce, la connaissance générale du fonctionnement des machines numériques reste très problématique pour une grande part de la société et encore plus chez les étudiants comme cela fut démontré dans les conclusions d'une étude internationale, des résultats qui vont à l'encontre des idées reçues concernant les « natifs du digital ». Il est donc urgent d'enseigner la théorie et la pratique du numérique dans toute la complexité d'une véritable culture numérique au sens fort.

L'organisation des études

Pour toutes les raisons qui viennent d'être évoquées, il semble donc nécessaire de ré-évaluer la place de l'enseignement du numérique dans les écoles d'architecture. Comment expliquer que des questions aussi fondamentales aujourd'hui soient parfois reléguées en fin de licence ? Comment expliquer que la culture du « code » et de la programmation soit purement et simplement absente de la majorité des cursus d'architecture alors que l'Éducation nationale, en a intégré le contenu dans les programmes depuis 2015 ? Sans parler de certains savoir-faire propres à la modélisation architecturale qui sont, la plupart du temps, purement et simplement omis. Il est urgent de mettre à jour nos attentes en matière de numérique. Le numérique est un vecteur important pour l'intégration professionnelle des futurs étudiants, ce qui n'est plus à démontrer, mais la richesse de la culture numérique ne doit pas se réduire à l'apprentissage de quelques logiciels, nous devons faire du numérique un champ riche de problématiques créatives, des problématiques qui demandent un travail approfondi et parfois exigeant. Il est donc important de pouvoir commencer la découverte de cette culture dès la première année de licence afin de pouvoir entrer progressivement, au fil du cursus Licence-Master-Doctorat, dans toute sa complexité.

Les enseignements

Théories et pratiques

Comme nous venons de l'analyser, le champ OMI est constitué par deux types de connaissances : d'une part des connaissances pratiques qui sont des savoir-faire souvent associés à des logiciels ou à des technologies bien spécifiques, et d'autre part, des connaissances théoriques, qu'elles soient d'ordre mathématique, historique ou philosophique. Cette division entre contenus théoriques et connaissances pratiques, qui pourrait à juste titre paraître quelque peu arbitraire, ne doit pas nous conduire à réduire l'enseignement des logiciels à de simples apprentissage sans « structure » mais, bien au contraire, nous permettre de mieux évaluer la part de chacun de ces deux aspects afin de pouvoir noter ce qui relève plutôt d'un savoir ou plutôt d'un savoir-faire, et comment ceux-ci s'articulent entre-eux. Rappelons à ce titre que des connaissances pratiques sur le fonctionnement général des systèmes numériques font souvent défaut dans le bagage technique et culturel des étudiants, et que parallèlement, la faiblesse de l'enseignement de la culture numérique ne favorise pas la compréhension et le sens de la mécanique informatique, ni n'aide à faire prendre conscience des enjeux technologiques contemporains.

Il y a donc nécessité de mieux structurer l'organisation des connaissances numériques depuis la première année de licence jusqu'aux séminaires de master, comme le propose déjà le référentiel de 2017 élaboré par la communauté enseignante. Dans ce document nous voyons que les sujets d'apprentissage ne manquent pas, ils ont même tendance à se diversifier chaque jour un peu plus. Devant la richesse de ces thématiques il est donc important de bien définir ce qui relève des fondamentaux qui doivent être acquis par l'ensemble des étudiants durant les trois années de licence, des connaissances plus pointues qui peuvent faire l'objet de cours en niveau master, et dans certains cas, offrir la possibilité d'exercer de nouveaux métiers, des métiers qui sont souvent très bien valorisés.

Les fondamentaux

Au-delà de ces aspects généraux concernant une meilleure articulation entre théorie et pratique, il est important de prendre en considération le principe que les contenus du champ OMI ne sont pas « homogènes » ou, disons, qu'ils ne constituent pas un espace parfaitement isotrope. Il existe plusieurs niveaux de modélisation qui correspondent à des domaines différents, à des manières de penser et de dessiner qui sont différentes. Pour schématiser nous pouvons distinguer dans un premier temps, deux grandes « familles », deux sous-domaines :

  • D'un côté, nous proposons d'identifier la question du BIM comme le cadre informationnel et sémantique central du nouveau paradigme qui tend à structurer l'avenir de la profession.
  • D'un autre côté la question du Continuum numérique, en tant qu'approche plus générale et conceptuelle de la transition numérique, qui peut être le vecteur d'une pensée renouvelée sur les rapports entre conception et construction, voire sur la nature même de l'ingénierie du bâtiment.

Il est essentiel ici de remarquer que si le domaine du « BIM » présente toutes les caractéristiques pour devenir l'élément central des contenus pédagogiques du tronc commun de licence, il se différencie assez nettement de l'approche complémentaire proposée par le domaine du « Continuum » en ce que cette seconde approche représente un domaine plus ouvert — dans laquelle nous incluons les questions « paramétriques » — et donc plus propice à l'innovation, notamment écologique comme nous l'avons déjà analysé par ailleurs. Nous voyons donc que les deux domaines du « BIM » et du « Continuum » sont complémentaires et que ces deux domaines devraient faire partie du tronc commun des acquis de licence, au moins sous la forme d'une introduction — il s'agit de réserver les cours spécialisés dans ce domaine pour le cycle master.

La représentation

À travers l'analyse que nous proposons sur ces deux modalités de conception numérique nous voyons clairement que les nouveaux outils numériques représentent une véritable mutation dans les méthodes traditionnelles de représentation de l'architecture. Comme nous l'avons par ailleurs analysé, le passage d'une géométrie de type « descriptive » à une géométrie de type « algébrique » est au cœur de cette mutation dont il s'agit de bien comprendre les véritables enjeux si nous voulons en tirer le meilleur parti et répondre aux défis de la transition écologique ; une opportunité qui peut se résumer dans le principe d'une « géométrie générative » qui s'annonce peut-être comme l'une des modalités permettant de renouveler la pensée et la conception-construction de l'architecture.

Manualité numérique

Il y a donc une nouveauté dans l'émergence d'un nouveau mode de représentation de l'architecture, et il y aura encore nouveauté dans les futures plateformes de conception qui sont en train d'émerger. Mais comme souvent, une idée nouvelle est souvent la réactualisation, la réactivation d'une idée ancienne dans un contexte nouveau. Ce que l'on nomme aujourd'hui « paramétrique » existait déjà dans les travaux de Dürer par exemple, tel que cela fut mis en évidence par Bernard Cache, même si sous une autre forme et avec une autre perspective. Nous pourrions tout autant tirer le même constat, avec Mario Carpo, concernant la représentation de l'architecture à l'époque de Vitruve par exemple. Il nous semble essentiel d'avoir à l'esprit cette réalité historique si nous voulons prendre appui sur cet héritage pour assurer une certaine continuité dans la connaissance, dans l'enseignement et dans la pratique du dessin d'architecture. La question ici se pose notamment dans la question spécifique de l'articulation entre le numérique et la géométrie descriptive, et dans la question des pratiques manuelles de dessin en général.

C'est précisément à ce sujet que la distinction que nous proposons entre le champ « BIM » et le champ « Continnum » prend toute sa signification. Dans le cas d'un « modèle BIM » en effet, il s'agit de manipuler des « objets numériques préfabriqués » à partir desquels une véritable connaissance de la nature géométrique et mathématique des processus numériques est à notre sens plus difficilement accessible. En revanche, dans les « modèles paramétriques » auxquels nous associons la géométrie de type « polygonal », il est possible non seulement d'avoir accès à une compréhension plus directe des objets numériques, mais surtout, en matière de pédagogie, cela nous permet de faire découvrir et de faire comprendre la véritable nature des « géométries fondamentales numériques ». De par leur caractère « constructif », ces géométries favorisent l'exercice d'une sorte de gymnastique intellectuelle et manuelle, qui est de nature à la fois géométrique et algébrique et que nous proposons d'enseigner sous l'appellation de géométrie descriptive numérique.

Mathématiques numériques

Parallèlement à la pratique d'une certaine « manualité numérique » et d'un véritable « savoir-faire numérique » qu'il s'agit d'enseigner comme on le ferait dans un « atelier maquette » virtuel, il y a la connaissance, plus théorique, des mathématiques qui régissent le fonctionnement de ces outils et qui en constituent l'« âme » en quelque sorte. Comme nous le rappelons dans l'introduction de ce document, l'histoire du numérique s'inscrit dans les pas de l'histoire des mathématiques et c'est la raison pour laquelle ces deux disciplines sont associées dans le champ OMI. Mais là aussi, il existe une spécificité des mathématiques du numérique et celles-ci doivent pouvoir entrer dans le périmètre de ce que l'on peut nommer la « culture numérique ». Il s'agit donc encore une fois de bien distinguer ce qui relève de « techniques mathématiques essentielles » d'une part, de l'histoire et de la « philosophie des mathématiques » d'autre part.

Au vu de la richesse du champ OMI et de la difficulté intrinsèque des mathématiques, nous proposons d'associer connaissance des techniques et de la culture mathématique, connaissance et pratiques des logiciels de modélisation pour l'architecture et philosophie du numérique dans un seul et même creuset. En forme d'introduction au Dessin numérique nous proposons de faire découvrir l'histoire de la « mathématisation du monde » (et des liens profonds que celle-ci entretient avec l'histoire de l'art) sous la forme d'une introduction à la pensée algébrique et par la fabrication d'objets paramétriques tels que des « brique paramétrique » ou des « charpentes ondulatoires ».


(cc) by Milovann Yanatchkov, Avril 2021